MON GRAND-PÈRE, CE HARKI.


Bonsoir mes chers visiteurs,

Aujourd'hui après le repas concocté par ma grand-mère, j'ai encore lu le journal de mon grand-père à l’aide de Nasser. Après avoir lu une vingtaine de pages, nous avons compris que nous étions enfin tombés sur le passage où il décrit sa guerre d’Algérie...

« Nous sommes en pleine guerre civile... Mon village est partagé en deux clans, le FLN et les harkis, parfois les membres de la même famille. Certains s’exécutent entre eux, sous les ordres de leurs chefs. L’armée française nous fournit de temps en temps des soins et nous projette des films, ils nous aident. Ils nous disent même que les massacres par le FLN diminueront si nous nous engageons à leurs côtés. ». « Aujourd'hui nous sommes le 15 janvier 1958 et papa et maman ont chacun reçu une balle dans la tête par un type du FLN du clan ennemi. Il nous a dit, à Farid et moi, que si nous aussi on continuait à 'comploter' avec les français, on allait y passer. J'ai peur pour Fatima et Nasser, je veux les protéger mais s'engager aux côtés de la France implique beaucoup de conséquences et les gars du FLN traitent déjà les harkis de traitres. ».
« Ça y est c'est fait, je ne peux plus continuer à vivre entre deux camps, il m’a fallu faire un choix et j’ai donc inscrit Souleymane Ben Saïd sur la liste que les troupes françaises ont disposée sur la table de leur campement. Farid, mon frère, s’est lui aussi inscrit, comme mon ami Jamil. J'ai confiance en la France désormais, elle va offrir une protection pour ma famille et moi et une petite rente qui me permettra d’augmenter mes revenus avec la saison qui s'annonce mauvaise pour les cultures. Je ne suis pas contre l'indépendance mais je ne veux pas du violent FLN comme représentant de l'Algérie ! Au fond la majorité des harkis ne sont pas contre l’Algérie, mais bien contre le FLN. Après le massacre de mes parents et de plusieurs de mes amis, je ne peux certainement pas me rallier à leurs côtés, et leurs méthodes me dégoutent. Je ne comprends pas comment ces gars, dont certains furent des amis, peuvent obéir à ces ordres. Tuer des gens avec qui on a passé la majeure partie de son enfance ou encore des enfants qu'on a vu grandir, des grandes personnes que l’on admirait étant gamin ? Ça n'a aucun sens à mes yeux, et c'est d'ailleurs pourquoi j'ai vu de nombreux gars en désaccord avec ces faits qui ont quitté le FLN pour entrer dans l'armée française. Mais je reste tout de même sur mes gardes, à près tout j’ai entendu dire que dans le village d’à coté, les français avaient enrôlé plusieurs anciens du Front de libération national par le chantage… ».

« Je suis fier. Je suis fier car aujourd’hui, avec les gars, on a reçu notre première arme, un fusil de chasse. On nous a expliqué comment nous en servir et quand. On nous a aussi précisé nos rôles. La plupart d’entre nous occupons des postes subalternes. Nous devons monter la garde, participer aux patrouilles, aux opérations de ratissage pour débusquer les rebelles. Les officiers et sous-officiers nous ont appris à marcher au pas, à nous camoufler, à obéir, à tirer, à manœuvrer, faire des tranchées, nous déplacer et beaucoup d’autres choses. Nous devons également être capables de faire une embuscade, d’entourer les villages la nuit ou encore de les fouiller le jour. ».



« Lors des missions, nous sommes souvent placés à l’avant. C’est vrai qu’on connait bien le terrain et c’est plus facile pour nous de guider les français. Avec le temps, nous connaissons vraiment bien notre travail et les officiers sont fiers de nous. D’ailleurs, nous nous entendons bien avec les français, on rigole bien ensemble. Même si nous comprenons tous assez bien le français, nous avons des difficultés à le parler… On préfère donc rester entre nous, et puis nos coutumes et mœurs sont tout de même bien différentes. »


« De temps en temps, les militaires français changent de visages. En effet, certains ne sont pas certains de notre dévouement à la France et nous soupçonne. Ils se méfient de nous et le risque que nous soyons des infiltrés pour le FLN les troublent. D’ailleurs, j’ai remarqué que le comportement de Farid a changé depuis quelques semaines. A vrai dire, ce changement de comportement va de pair avec la situation qui tourne peu à peu à l’avantage du FLN… Récemment notre officier, qui avait beaucoup d’affection pour ses troupes  a été remplacé par un autre. Celui-ci est froid et nous parle comme à des chiens à longueur de journée, tous les gars ne peuvent pas le sentir. C’est un sujet de discussion qui est devenu récurrent, et on remarque également un changement de plus en plus important dans le comportement des militaires suite à son arrivée. »



« Aujourd’hui, 19 février 1962, ça fait deux jours que Farid a déserté. Cela faisait longtemps que je le sentais différent, nerveux. Et puis ce soir-là, en pleine nuit, je l’ai entendu. Il devait être autour de 1heure du matin quand je l’ai vu ranger ses affaires dans le sac donné par l’armée française. Il m’a lancé quelques phrases en chuchotant, m’expliquant que c’en était fini pour lui ici, que je ferais bien de faire comme lui rapidement si je ne voulais pas finir torturé ou mort quand le FLN gagnerait le conflit. Il m’a aussi dit, et je m’en rappellerais toute ma vie, que les français ne croyaient pas en nous, qu’ils ne nous avaient jamais considérés autrement que comme des arabes et ne nous considèreraient jamais comme des français. A partir de ce moment, je sus que c’était la dernière fois que je vis mon frère. Je ne comprenais pas son acte, après tout ce que le FLN avait fait à nos proches et ce que l’armée française nous avait apporté… »

« La situation est devenue de pire en pire au sein des troupes. Après le départ de Farid, les français se méfient de plus en plus de nous. Ils nous confient moins de missions de peur de la trahison et l’ambiance du groupe a pris un sacré coup. »


Il est déjà tard dans l’après-midi et nous avons décidé de regarder à la télé le téléfilm « Harkis » réalisé par Alain Tasma en 2006. Nasser, qui l’a déjà vu, m’a dit qu’il était très intéressant et informait beaucoup sur la vie des harkis dans les camps et représentait bien la vie de beaucoup de familles harki dont la nôtre. Je vous laisse donc, en attendant avec impatience de continuer à découvrir le récit de mon grand-père.

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