LA RÉUSSITE MALGRÉ L'ORIGINE

Bonjour tout le monde,

          Il y a quelque temps, je lisais une revue sur les harkis et une phrase a particulièrement retenu mon attention, je l’ai donc écrite sur une feuille dans l’idée de réfléchir un peu plus tard dessus, mais malheureusement avec tout le travail qu’on a en ce moment, je l’ai complètement oublié. C’est seulement aujourd’hui, en rangeant mon bureau que j’ai retrouvé cette feuille qui s’était perdue entre deux cahiers. Je profite donc de ce week-end pour la partager avec vous :
" Tout passe par l’école, car celle-ci, dans des populations défavorisées, est la condition déterminante de la réussite professionnelle et donc un élément majeur du processus d’intégration sociale. "

          En fait, en lisant cette phrase, j’ai pensé à mon père. En effet, aujourd’hui il est avocat et il faut dire que c’est vraiment incroyable en sachant d’où il vient. Il est né dans le camp de Bias en 1971 mais il eut la chance de n’y vivre seulement les quatre premières années de sa vie. Quand je dis « chance », c’est parce que si l’on compare la trajectoire de mon père à celle de mon oncle, il y a une grande différence : mon oncle est né pendant la guerre et par la suite a vécu 13 années de sa vie dans les camps, cela change tout ! Les conditions de vie, la scolarisation, l’éducation et malheureusement cela a joué en défaveur de Nasser… Revenons-en à mon père, avec la suppression progressive des camps, il a pu vivre dans un vrai foyer avec l’accès à l’école publique nationale. Mon grand-père qui a souffert tant d’années, avait à présent comme seul espoir la réussite de son fils afin que ce dernier puisse avoir une belle vie et surtout afin qu’il n’est jamais l’occasion de toucher à la pauvreté. Ainsi, dès son plus jeune âge, il l’amenait à la bibliothèque, tous les matins il l’accompagnait à l’école, le soir il vérifiait bien qu’il fasse tous ces devoirs et malgré leurs petits revenus, il faisait tout son possible pour acheter le nécessaire à son enfant afin qu’il puisse s’intégrer avec les autres, pour qu’on ne le critique pas ou qu’on rigole de lui… Durant toute sa jeunesse, mon père s’est donc intégré facilement avec les autres enfants, notamment grâce au fait qu'il y ait des enfants d’harkis dans le village. Aussi, il était très bon à l’école, même l’un des meilleurs ce qui étonnait beaucoup les autres qui ne comprenaient pas comment un fils de harki pouvait avoir d’aussi bons résultats car habituellement on constatait plutôt plus de difficultés scolaires pour ces enfants issus d’un milieu difficile. En ce qui concerne mon père, il m’a dit que s’il a travaillé autant, premièrement c’est parce qu’il aimait l’école, il aimait étudier et apprendre plus de choses chaque jour, mais il travaillait également pour que son père soit fier de lui. Cependant, plus il fallait monter en grade, plus l’école revenait chère : ce n’était plus le temps de la maternelle ou de la primaire où la quasi-totalité des affaires étaient offertes. Mon grand-père avait peur de ne pas avoir les moyens pour subvenir à tous ses achats, heureusement c’est à partir de cette période que le gouvernement a mis en place des bourses complémentaires aux bourses de droits communs pour les harkis. Ainsi, mon père a pu bénéficier de ces précieuses aides dont il avait vraiment besoin pour devenir avocat, car ce qu’il voulait le plus au monde c’est pouvoir défendre et aider des personnes pour dans des causes justes. Après l’obtention de son baccalauréat, il dû partir à Paris pour commencer ses études de droits  à l’Université Paris 1. Ce fut un grand changement pour lui, pour la première fois il devait quitter sa famille pour se retrouver seul à Paris. Il m’a raconté que c’était très difficile pour lui au début mais que c’était un passage obligé pour "couper le cordon". Durant les quatre années universitaires, il eut une rupture entre sa vie au village et celle dans la capitale, tout est complétement différent, les gens n’étaient pas du tout les mêmes, c’était le début d’une socialisation anticipatrice où il se détacha des normes et valeurs inculquées durant son enfance afin d’intérioriser celle de son groupe de référence, les autres étudiants de son école. Grâce à cela, il se fait de nouveaux amis mais contrairement à eux, il doit travailler encore plus, en effet, il a un petit boulot à côté pour avoir un peu plus d’argent mais ne le dit à personne afin de ne pas paraître pour un pauvre aux yeux des autres, qui eux ont beaucoup d’argent facilement, grâce à leurs parents. Il devient donc serveur dans un petit café dans le 18ème arrondissement à Paris, et même si le salaire n’est pas très haut le patron est quand même très gentil, il y a une bonne ambiance et parfois, certains clients laissent même un pourboire. D’ailleurs, c’est dans ce café que mon père rencontra ma mère pour la première fois. Sorya aussi été algérienne et venait parfois le matin prendre un café noir. Ils discutaient souvent ensemble et devinrent rapidement bons amis, il lui racontait sa vie à l’université mais lui mentait sur ses origines car il avait peur que si elle apprenait que c’était le fils d’un harki, alors elle ne voudrait plus lui parler le considérant comme étant le fils d’un collaborateur, en plus, plus le temps passait, plus ses sentiments pour elle changeaient, il commençait à tomber amoureux, c’était la première fois pour lui.  Mais après s’être disputé avec un client lors d’un service, il perd son emploi et perd aussi de vue Sorya… Il décide donc de ne pas reprendre un autre emploi car sinon il n’arriverait jamais à réussir ses études. Après quatre années d’études il obtient donc son Master 1, puis s’inscrit à l’Institut d'Etudes Judiciaires de son université dans laquelle il fait une formation d’un an pour préparer le concours d’entrée à l’école d’avocat. Après avoir réussi l’examen au CRFPA, centre régional de formation professionnelle des avocats, il intègre l’école pour une formation de 18 mois et à la fin obtient le fameux CAPA, le Certificat d'Aptitude à la Formation d'Avocat qui lui permet de solliciter son inscription au tableau du barreau de Paris (un barreau est l'ordre professionnel des avocats). Après toutes ses années qui sont passées, il décide un jour de faire un tour dans le 18ème arrondissement pour voir si le café était toujours là, et comme par hasard, il tombe sur Sorya qui avait gardé sa vieille habitude de prendre son café noir. Tous les deux se reconnaissent immédiatement, ils sont à la fois si heureux et si étonnés de se rencontrer après tant d’années, et à partir de ce jour, petit à petit,  leur ancienne relation redémarre. En effet, même si mon père ne travaille plus au café, il vient quand même la voir, c’est durant cette période que son amour pour elle réapparait. Il sent qu’elle aussi a des sentiments pour lui et décide de la demander en mariage ce qui implique donc qu’il doit à présent lui dire la vérité à propos de sa famille. Cela ne va pas arranger les choses puisque même si ça n'a pas d'importance pour Sorya, il n’empêche que son père, lui, est totalement contre ce mariage et surtout contre ce mari.  Néanmoins, à force de temps la mère de Sorya arrive à convaincre le père que le bonheur de sa fille est le plus important et non le passé de la famille de l’homme. De plus, le fait que Mohamed devienne avocat joue en sa faveur. C’est ainsi qu'ils se marièrent le 20 juin 1995, ce qui amènera un an plus tard à ma naissance.


          Vous devez vous demander comment on a pu passer du sujet de l’école au mariage de mes parents, ce qui est assez bizarre en effet mais d’après cette histoire, on peut voir que nos origines ont une place importante dans notre vie et même si au cours de notre vie, nous changeons complètement, nos origines resteront les même. De plus, je tiens à préciser que l'histoire de mon père est exceptionnelle par rapport à celle de la plupart des autres enfants de harkis. Peu ont fini aussi diplômés même si après la fermeture progressive des camps, l'État a mis en place des mesures particulières pour ces enfants. Par exemple,  dans les zones à forte implantation d'anciens supplétifsdes classes de maternelles ont été créées en plus, ainsi que des classes de rattrapage et des institutions d’études surveillées. De plus ils purent accéder à des bourses d’études différentes selon le  niveau (élémentaire, secondaire, technique ou supérieur). Plus tard il y eut des aides à l'embauche versées pour les employeurs qui proposaient un contrat d’apprentissage ou un contrat de qualification à un enfant de harki, ainsi que des aides à la mobilité professionnelle ou encore un dispositif anti-discrimination. Cela montre donc la volonté de l'État à intégrer ces hommes le mieux possible. Dans la rue, un harki est désormais un algérien comme les autres. Avec la quasi disparition des hameaux forestiers et la dissolution des camps on peut remarquer qu'au fil des générations, les différences s'atténuent

1 commentaire:

  1. AVIGNON (84) : LES HARKIS MANIFESTENT DEVANT LA PRÉFECTURE
    28 Boulevard Limbert, 84000 Avignon
    Les rapatriés harkis manifesteront le samedi 28 MAI à 14H devant la préfecture d'Avignon, « La responsabilité de la France dans le drame des harkis est actée ».
    C’est « pour l’honneur de nos parents, pour notre reconnaissance et pour une loi de réparation sans cesse promise et jamais votée » Kamel Ben Moussa, Said Hamkache,Hocine Louanchi, militants de la cause harkie, appellent à la manifestation.
    Le Collectif National Harkis Rapatriés Français d’Algérie et leurs Amis demande à François Hollande, le Président de la République, de tenir sa promesse électorale :
    « Si le Peuple Français m’accorde sa confiance, je m’engage à reconnaître publiquement les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des Harkis, le massacre de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil des familles transférées de nuit dans des Camps en France » (François Hollande le 5 avril 2012).
    « Devant le mutisme du chef de l’état qui refuse de tenir son engagement », les responsables des associations, les harkis et leurs amis organiseront donc ce nouveau rassemblement pacifique, en Mai prochain à Avignon
    Hocine Louanchi porte parole du Collectif National Harkis

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